«Les dispositions à amender dans le Code du travail sont nombreuses»

 

Le Code du travail renferme plusieurs lacunes et une partie de ses dispositions ne sont toujours pas appliquées. D’où la nécessité, selon Saïd Naoui, d’amender le texte. Ce spécialiste du droit du travail formule même des recommandations. Détail.

 

Le Matin éco : Le Code du travail boucle ses dix ans en juin prochain. Quelles sont ses principales lacunes, les dispositions qui posent des problèmes d’application, les aberrations ?
Saïd Naoui : Apporter des réponses à de telles questions est loin d’être un exercice facile. En effet, l’évaluation de dix ans d’application de l’actuel Code du travail nécessite une réflexion collective et des études spécialisées. Toutefois, on peut avancer quelques remarques à ce sujet. Force est de constater qu’une partie des dispositions de ce Code ont suscité de vives réactions dès le début et ont été sévèrement critiquées, aussitôt le texte promulgué. Depuis, des voix s’élèvent et recommandent de revoir, renforcer, introduire ou carrément supprimer des dispositions. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que ce Code n’a connu son aboutissement qu’après un parcours législatif des plus pénibles, depuis 1996 l’année de la présentation du premier projet, jusqu’en 2004, année de son entrée en vigueur.
Mais globalement, on peut dire que ce texte de loi renferme des lacunes et que plusieurs de ses dispositions ne sont pas à ce jour appliquées. Toutefois, le Code apporte des avantages tant aux employés qu’aux employeurs.

Quelles sont donc les principales dispositions qui doivent être révisées et quelles seraient vos propositions ?
Le droit évolue sous la pression de plusieurs facteurs. Pendant longtemps, le droit du travail subordonné s’est construit au gré des événements politiques, des contraintes économiques et des contraintes technologiques. Il faut aussi citer les apports de la jurisprudence qui donne des solutions en interprétant la règle de droit.
S’agissant des dispositions à amender dans le Code du travail, elles sont nombreuses. Il s’agit, entre autres, de renforcer le rôle des inspecteurs du travail, en leur attribuant le statut d’officiers de la police judiciaire pour donner une valeur juridique probante aux procès-verbaux dressés par eux et leur permettre ainsi de les introduire directement devant le tribunal. C’est à l’inspecteur du travail qu’incombe la lourde responsabilité de contrôler l’application du Code de travail. De même, il faut modifier l’article 62 en attribuant à l’inspecteur de travail la possibilité d’affiner la procédure de licenciement après le refus de l’une des parties d’entreprendre ou de poursuivre la procédure.

Il y aurait également des attentes par rapport à la procédure de licenciement pour motif économique…
La procédure de licenciement pour motif économique doit en effet être révisée. Ainsi, quand un employeur, pour motif économique, envisage une modification substantielle du contrat de travail d’un ou plusieurs salariés, il devra en aviser chaque salarié par lettre recommandée avec accusé de réception, ou par un autre moyen de notification selon les dispositions du Code de la procédure civile. Cette lettre informera le salarié qu’il dispose d’un mois à compter de la réception ou la notification pour faire connaître son refus. À défaut de réponse dans ce délai, il sera réputé avoir accepté la modification proposée. Le législateur marocain est censé alors adopter cette disposition qui est en faveur des deux parties, l’employeur pour ne pas être attaqué selon le fondement de la modification du contrat sans le gré de l’employé et ce dernier qui aura le choix d’accepter ou de refuser cette décision.
Pour le harcèlement moral et sexuel sur les lieux de travail, il faut renforcer les dispositions pour les rendre précises, claires et faciles à démontrer par tous les moyens dont dispose l’employé. Objectif : protéger les victimes de ce harcèlement contre toute sanction, licenciement ou mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat. Il faut également appliquer ces dispositions pour les candidats à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise.

Qu’en est-il de la durée légale du travail ?
Je recommande également d’instaurer des dispositions sur la participation et l’intéressement des employés afin de les impliquer dans la production de l’entreprise. Il faut aussi réduire le taux horaire, en ramenant la durée légale hebdomadaire à moins de 44 heures pratiquées aujourd’hui pour ne plus fatiguer l’employé.
Parmi les autres dispositions à amender dans l’actuel Code du travail figure la représentation des femmes dans les élections professionnelles qui est faible. C’est l’occasion de réduire l’écart entre les femmes et les hommes dans les comités d’entreprise et les délégués du personnel en proposant une proportion de femmes et d’hommes qui permettent de parvenir à une représentation équilibrée selon le principe de parité. Le recours au travail de nuit dans les entreprises industrielles et commerciales, ainsi que dans le secteur agricole doit rester exceptionnel et justifié tant pour les hommes que pour les femmes. Il doit prendre en compte les impératifs de la production, de la sécurité et de la santé des travailleurs et être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale.
Et pour harmoniser ces propositions, le temps est venu pour instaurer des tribunaux spécialisés dans les conflits du travail et une procédure sociale.

naoui said

docteur en droit

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